Du clavier de son PC, Caroline Delieutraz s’est amusée à reprendre les chemins qu’avait parcourus, en camping-car, Raymond Depardon pour son travail sur la France. A l’aide de Google Street View, elle a capture les mêmes endroits. Les regards sont-ils différents? A vrai dire, pas vraiment. Depardon a fui tout effet pour prendre au plus banal ces paysages de campagne ou de sous-préfectures sans noblesse et sans charme. Google ne fait pas vraiment autre chose, ses équipes parcourent le monde pour en donner des images brutes, objectives. La jeune artiste pose la question de l’intérêt de ce travail dès lors que sur Google tout existe déjà. Mais sans Depardon, elle n’aurait pas et nous n’aurions pas regardé cette France loin des centres de compétitivité. Il élargit notre champ de vision, nous permet de découvrir de nouveau territoires autant que notre propre jardin. C’est le rôle d’un artiste, et Depardon s’y emploie avec talent. Il n’empêche, Google ne sort pas pour autant perdant et nourrit le travail de plus en plus de photographes. Michael Wolf revisite Paris. Doug Rickard explore les endroits les plus défavorisés des États Unis et se réjouit de profiter de la neutralité de l’œil de la machine, des visages effacés qui transforment les individus en symboles et, enfin, le point de vue élevé de la caméra: « L’appropriation de ces images reste de la photographie. Je veux montrer la face cachée du rêve américain, et mon travail reste très personnel et subjectif par le choix des couleurs et par ma propre sélection. » A chacun son camping-car.
Télérama n°3338, 4 au 10 janvier 2014, p. 62.