Mais qu’est ce que ce « Truc »? Initié par un collectif parisien de net artistes, un étrange trafic s’opère actuellement via le site du Jeu de paume, honorable institution dédiée à l’image contemporaine. Invitée dans le cadre de la « programmation Satellite » du musée à investir l’espace d’exposition virtuel, le collectif Microtruc composé de Jérôme Alexandre, Caroline Delieutraz, Aude François, Julien Levesque et Albertine Meunier, interroge avec malice les procédés de géolocalisation.
Le principe de ce happening, à la fois virtuel et réel, est simple: quatre objets volontairement non identifiés, des « Trucs », donc, sont mis en circulation. Chaque « passeur » remet son Truc à la personne de son choix, qui s’engage à son tour à suivre une série de consignes. Parmi ces instructions, celle de conserver le Truc avec soi pour une durée de vingt quatre heures. Un engagement moins anodin qu’il y paraît puisque chaque Truc est équipé de capteurs qui lui permettent, ainsi qu’à son propriétaire, d’être en permanence géolocalisés sur une carte en ligne réactualisée toutes les heures et qui enregistre les « trajets », les « lieux d’échange » et le « dernier emplacement ».
Autre clause: chaque passeur promet de relater ses vingt quatre heures passées en compagnie du Truc.
Naturellement, sur la toile, ça donne une série de récits plus ou moins cocasses confortés par l’indétermination du terme « truc » – et que l’on peut suivre, ainsi que leur trajectoire, sur http://microtruc.net/lestrucs : « aujourd’hui à 16 heures, dans un café de la rue de la Roquette, on m’a remis un Truc, raconte ainsi Etienne, j’avais initialement pensé consacrer mon samedi au travail. Finalement, une fois en ma possession, le Truc m’a mis d’humeur festive. Au diable le travail , me voilà donc parti en balade dans Paris avec mon Truc – je dis « mon » Truc parce que visiter Paris sous la neige et faire les boutiques pour trouver des cadeaux pour celle qu’on aime, ça rapproche forcément. »
« Le Truc m’a été donné dans une salle de bain du XIXe arrondissement, raconte encore Sandrine. Il était 19 heures et je me changeais pour mon cours de yoga avec ma grande copine Ingrid. Pour qualifier mes relations avec Ingrid, il suffit de savoir que nous sommes suffisamment intimes pour échanger des trucs cylindriques mous dans une salle de bain. » Tantôt décrit comme « un œuf de l’avant« , une « balle rebondissant » ou un « encombrant« , les Trucs en tout cas ne laissent pas indifférent. « Il était important que les Trucs restent non identifiés, pour susciter le récit et les interprétations » explique Marta Ponsa la commissaire de l’Espace virtuel du Jeu de paume « la seule chose que l’on sait, c’est que c’est un objet un peu low tech, en totale opposition avec les outils perfectionnés que développe la géolocalisation. Le collectif Microtruc s’amuse avec ces paradoxes et ces rencontres improbables entre réseaux physique et virtuel. »
Au point d’organiser à la clôture de l’exposition le 9 mars prochaine une « vraie » performance qui prendre en compte les récits, cartes, données géographiques et autres statistiques enregistrées au cours des mois. Et d’interroger mine de rien les dérives d’une société du « tout visible ». Selon une récente enquête Ifop, 65 % des Français sont équipés de dispositif GPS et 20 % d’entre eux utilisent les applications de géolocalisation sur smartphone et autres Facebook. Cependant, ils sont 72 % à estimer que la diffusion sur internet de la localisation en temps réel comporte un risque.
Claire Moulène, Mais où est passé ce truc ?, Les Inrockuptibles, le 05 janvier 2011