Texte écrit à l’occasion de l’exposition Falling Pictures, Galerie 22,48 m², Paris, 2011
Pour sa première exposition personnelle, Caroline Delieutraz montre des travaux à partir de données et d’outils collectés sur Internet. Souvent assimilé à une entité vivante, Internet serait coupable de l’invasion des images dans le monde « réel ». Mais cette invasion avait commencé avant, et Internet n’a fait que l’intensifier.
Les œuvres montrées dans l’exposition «Falling Pictures» prennent naissance sur la toile et s’inscrivent dans l’espace réel et mouvant du monde dit matériel. Dans notre société de l’image, ce sont les icônes qui « chutent » qui intéressent l’artiste: ces images qui apparaissent, disparaissent, et renaissent à la faveur de réappropriations successives. Elles semblent être des milliers à déferler chaque jour dans l’actualité, et pourtant elles sont une poignée à circuler, sur Internet ou ailleurs, pour raconter les grands événements de notre monde.
Dans Falling Pictures, site Internet vidéo-projeté, Internet échoue à diffuser les images prévues, remplacées par le point rouge caractéristique. Des carrés vides errent et tombent doucement, figurant l’absence d’information et lui donnant la matérialité de l’espace de la galerie. La chute de l’image, sa mise en échec crée un nouveau visuel qui à son tour, associé à d’autres, crée une « big picture », une vue d’ensemble.
La vidéo 300 Avatars par défaut, diffusée sur un iPod, est faite avec les images offertes aux usagers des forums et autres sites web qui n’ont pas choisi eux-mêmes d’avatar. Comme un déguisement générique, ces avatars regroupent à la fois l’idée de singularité chez les internautes et les éléments du site qui les émet. Beaucoup reprennent le motif du portrait frontal des photos d’identité, et la collection d’avatars par défaut devient comme un fichier d’usagers potentiels, prêt à servir de base de données mondiale.
Cette collection d’avatars par défaut, rassemblée à partir de centaines de sites Internet et conservée sur la plateforme de stockage FlickR, l’artiste a décidé de la diffuser sous forme de timbres postaux – dont certains ont servi à l’envoi du carton d’invitation de l’exposition. Quelques pixels, quelques centimètres carrés : deux méthodes de communication et deux moyens de diffusion d’images. Une sorte de mail art nouvelle génération et discret.
À l’image des logos géométriques qui envahissent notre quotidien, une constellation est une forme artificielle, même si elle est créée à partir d’étoiles existantes. Dans La Constellation de l’Hexagone, l’image imprimée sur bâche nous est familière, et pourtant elle est étrangère au ciel que l’on connaît. Elle constitue une véritable «projection», au sens de construction mentale qui reproduit des motifs connus dans des espaces inconnus.
Une autre image familière est présentée dans l’exposition: Venezzia_biennial_jn_3.jpg, initialement découverte via Google Images et retrouvée comme icône du portail de Wikipedia sur l’art contemporain. Dans l’installation qui porte le nom même du fichier image, Caroline Delieutraz nous montre les pièces de l’enquête qu’elle a menée : captures d’écran, poster produit par Wikipedia, interview de l’auteur de la photo nous permettent de retracer, avec elle, le long et tortueux parcours d’une image.
Spécialement conçue pour l’exposition, la vidéo Les Impénétrables est une œuvre destinée au site Internet de la galerie. Constituée de captures d’écran, la vidéo montre l’espace de 22,48 m² dans différentes configurations, qui évoquent autant de micro-récits particuliers. La qualité de la 3D rappelle les jeux de type « escape the room » où il s’agit de sortir d’un espace fermé en collectant des indices cachés dans les éléments du décor.
Caroline Delieutraz collecte des matériaux visuels dans son environnement immédiat, qu’elle manipule et retravaille, comme pour en révéler de manière ludique le caractère familier mais discutable. Les constructions et déconstructions qui en résultent nous rappellent la nature profonde de l’image, quel que soit son usage, sur Internet et ailleurs : une fiction.
Géraldine Miquelot